L’orgue de Saint-Riquier

Entre musique et patrimoine



Orgue

En 2021, sur près de 10 000 orgues recensés en France, plus de 1 599 sont classés ou inscrits au titre des monuments historiques.


Les orgues et leur musique façonnent depuis des siècles le paysage musical. La fabrication des orgues et leur musique sont étroitement liées : chaque instrument est unique car entièrement créé pour l’espace architectural dans lequel il va être utilisé. Les connaissances et les savoir-faire hautement spécialisés relatifs à la pratique de cet instrument ont été développés par les artisans, les compositeurs et les musiciens qui n’ont eu de cesse de conjuguer leurs talents.


Figure imposante de l’abbatiale, l’actuel orgue de tribune est arrivé à Saint-Riquier en 1732. Malheureusement, aucune archive n’existe sur les instruments qui l’ont précédé car la plupart des archives de l’abbaye ont brulé ou ont disparu. Toutefois, la chronique de Dom Victor Cotron mentionne sous l’abbatiat de Thibault de Bayencourt (1511-1536) l’acquisition d’un orgue « très puissant », orgue qui a subsisté jusqu’à l’incendie du 14 septembre 1554. À partir de 1717, sous l’abbatiat de Charles-François de Châteauneuf-Rochebonne, des provisions de bois étaient faites en prévision de la construction d’un orgue. Malheureusement l’incendie du 29 mars 1719 engendre de lourdes dépenses pour la reconstruction des bâtiments et l’installation du grand orgue doit être différée.




En 1731, les orgues de l’abbaye prémontrée de Chartreuve dans l’Aisne étaient à vendre. Les transferts de ce type n’étaient pas rares. Les archives de l’abbaye fournissent peu d’indication sur cet instrument. Il comportait déjà trois claviers et un pédalier. Les travaux de transfert et d’installation furent confiés au facteur Louis Labour, ce que confirme la signature « Louis Labour 1732 ». Il effectua des travaux en 1748. L’instrument comportait une trentaine de jeux. La composition exacte de l’instrument nous est inconnue à cause des remaniements et des transformations de l’instrument au cours du XIXe siècle. Les ailes concaves semblent avoir été ajoutées en 1730-1731 sur le modèle de l’orgue de la cathédrale de Saint-Omer.

À la Révolution française, la conversion de l’église abbatiale en église paroissiale sauva l’édifice et l’orgue. Les frères Basiliens installés à l’abbaye de Valloires en 1815 étaient connus pour leur activité de facteurs d’orgues. Ainsi, le conseil de fabrique fit appel à eux. Un premier *relevage fut exécuté en 1824 puis des réparations furent réalisées en 1835 et 1836. L’orgue était dans un état de délabrement tel que s’il n’était pas réparé rapidement il serait entièrement perdu. Le conseil de fabrique décida le 9 juillet 1852 de procéder à la reconstruction de l’orgue dont le devis de restauration s’élevait à 4 700 francs. Les travaux confiés aux frères Basiliens comprenaient notamment la construction de deux nouveaux sommiers à registres pour le grand-orgue et le positif.

À la fin du XIXe siècle, des travaux furent exécutés par Salomon van Bever puis l’instrument fut restauré par Antoine Séquiès de Lille en 1925. Après la Seconde Guerre mondiale, l’instrument avait à nouveau besoin d’un relevage. Entre temps, l’orgue fut classé monument historique le 20 juin 1949 ce qui garantissait une prochaine restauration. L’arrivée des Auxiliaires du Clergé en 1953 remit le projet à l’ordre du jour mais ce ne fut qu’en 1959 que les travaux furent confiés à la maison Roethinger de Strasbourg. D’un simple relevage initialement prévu, le projet prit une autre ampleur. L’orgue fut inauguré le 27 août 1961 par Antoine Reboulot. Le buffet fut quant à lui classé Monument historique le 9 mai 1981. En 2001, le facteur Laurent Plet fut chargé d’exécuter une restauration de l’instrument pour un coût de 460 000 €. Les buffets XVIIe et XVIIIe siècles furent restaurés sur place. La partie instrumentale, sauf le réservoir, fut démontée et transportée dans les ateliers du facteur dans l’Aube. Les travaux qui ont permis un retour à l’état d’origine de 1852 pour la registration furent terminés le 28 novembre 2005.


Description du buffet

Le buffet d’orgue en chêne, taillé dans la masse avec un décor en haut-relief, est constitué d’un grand corps à cinq tourelles et d’un positif de dos à trois tourelles. Si le buffet est caractéristique du XVIIe siècle, le décor et les ornements appartiennent à la 1ère moitié du XVIIIe siècle. Ainsi tout le vocabulaire décoratif propre au XVIIIe siècle se retrouve : vases, fleurs, trophées, instruments de musique, anges, rinceaux, pots à feu, guirlandes et feuillage. C’est dans l’abbatiale un des rares exemples de sculpture de cette époque. L’attribution au sculpteur François Cressent (1663-vers 1735) est retenue. Le sculpteur amiénois, père du célèbre ébéniste Charles Cressent, décora de nombreuses églises et abbayes d’Amiens et ses environs. Boiseries et lambris sculptés, statues, autels, monuments funéraires se retrouvent dans les églises de Conty, Frémontiers, Amiens à la cathédrale et à l’église Saint-Leu, Abbeville à la collégiale Saint-Vulfran…


L'instrument

L’instrument comporte 30 jeux répartis sur trois claviers et un pédalier de 25 notes. La console en fenêtre avec un clavier de 54 notes pour le positif et le grand-orgue et 42 notes pour le récit. Tirants de sections rondes avec porcelaines. Expression par pédale à cuillère. La transmission est mécanique tant pour les jeux que pour les notes. La soufflerie à moteur alimente un réservoir à deux plis. L’essentiel des tuyaux date du XVIIe siècle (l’ensemble du positif sauf le cromorne et 5 jeux au grand orgue), une autre partie date du XIXe siècle sauf le plein-jeu qui date du début du XXIe siècle, la clarinette et les flûtes de pédale de Salomon van Bever ont été modifiées par Laurent Plet.

*Relevage : nettoyage général de toutes les composantes de l’instrument qui peut impliquer un démontage complet. Le relevage permet aussi le remplacement des pièces usées mais il n’a pas vocation à modifier l’orgue.